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Quatre voies du datajournalism

J’ai eu l’impression, ces derniers jours, de répéter plusieurs fois la même chose à des personnes différentes. (Ce qui est un vrai plaisir quand il s’agit de datajournalism). D’où l’idée d’articuler ici ces quelques éléments récurrents.

Finalement, le datajournalism ou journalisme de données, peut difficilement se résumer à un type de contenu ou à un type de démarche. J’ai identifié quatre dimensions, et pour chacune les compétences nécessaires à sa mise en œuvre :

1-Compréhension : Le datajournalism permet de mieux comprendre le monde.

Pour cette visualisation des succès au box office américain depuis 1986, l’équipe du nytimes.com a particulièrement travaillé sur la forme des courbes, et leur couleur.


Le datajournalism, c’est de la visualisation d’information. C’est une des composantes du traitement rich media (tel que le défini Alain Joannes), une des applications du journalisme visuel. Dans cette première logique, le datajournalism permet de faire comprendre par l’image certaines idées bien mieux que ne le feraient des mots.

Le datajournalism fait ici appel aux compétences des graphistes et aux connaissances en sémiotique visuelle ou en sémiologie graphique : pour que chaque forme et chaque couleur fasse sens instantanément.

Pour faire comprendre une affaire d’espionnage politique à Madrid, elpais.com a mis au point une visualisation animée et interactive.

Mais le datajournalism va au delà de l’infographie car il ne s’adresse pas uniquement à l’intelligence visuelle, il travaille également sur l’intelligence cinétique. En datajournalism la visualisation est forcément interactive. Elle doit permettre à l’internaute de jouer avec les données, de manipuler la visualisation. Plongé dans une posture active, l’usager appréhende et mémorise plus facilement l’information.

La datajournalism ne pourra donc pas se passer des compétences d’un interaction designer. Ni de celles d’un ergonome.

2.Personnalisation :  Le datajournalism permet de personnaliser la vue sur le monde

Gapminder permet de visualiser à la demande les relations entre différents indicateurs statistiques mondiaux.

Le datajournalism, c’est aussi de l’information à la carte. Un des moyens de répondre à la fragmentation des audiences.

La visualisation de données consiste à bâtir une interface graphique pour accéder à une base de données. Cela permet bien sûr de proposer un aperçu de gros volumes de données, d’en faire jaillir le message essentiel. Mais cela ouvre également la possibilité d’interroger n’importe quelle partie de cette base de données, et de la rendre accessible et compréhensible instantanément. Ainsi, une des dimensions de l’interactivité consiste à rendre la visualisation librement paramétrable. Une application de datajournalism peut alors répondre toutes les attentes particulières des internautes autour d’un thème d’information.

Les savoir-faire d’un architecte de l’information deviennent ici utiles.

3.Investigation : Le data journalisme permet d’éclairer autrement le monde.

En analysant un document de 458 mille pages sur les notes de frais des députés britanniques, le Guardian a révélé des abus dans l’utilisation des fonds publics britanniques.

Le datajournalism est également un outil d’investigation. Les bilans de la cour des comptes, les rapports du FMI, les statistiques de l’OCDE, etc., contiennent énormément de matériau pour le journalisme d’investigation. Seulement, il faut savoir faire parler ces données. C’est à dire qu’il faut prendre le temps de les lire, qu’il faut savoir les interpréter, qu’il faut des outils pour appréhender des tendances à partir de gros volumes de données, qu’il faut avoir l’idée de croiser une base de données avec une autre, etc., pour faire apparaître des informations jusque là ignorées.

Interroger les données plutôt que les témoins est un art encore très délaissé par les médias français. Peut-être parce que cela suppose d’emprunter des outils et des méthodes aux sciences (voir la brillante illustration de Fabrice Epelboin sur RWW France) : pour extraire de l’information d’immenses bases de données, il n’y pas d’autres moyens que de construire des modélisations, que d’utiliser des outils de gestion de la complexité.

Impossible de réaliser ce genre d’investigation sans statisticien.

4.Participation : Le data journalism permet de participer à la description du monde

Avec l’aide de 200 internautes, l’équipe d’Owni.fr a géolocalisé les bureaux de votes français et a rendu cette base de données gratuite, ouverte et libre.

Enfin, le datajournalism suppose parfois de faire appel au crowdsourcing pour collecter les données et pour les qualifier. Lorsque la base de données n’existe pas, lorsqu’il est matériellement impossible qu’un petit groupe de personnes collecte toutes les données sur un sujet, la force du datajournalism réside dans sa capacité à fédérer la participation des internautes pour obtenir des données à faire parler.

Cela nécessite un gros travail d’animation de communauté.

Il faut encore mentionner deux compétences indispensables au datajournalism, et transversales à ces quatre dimensions.

Tout d’abord les savoir-faire des développeurs. Développeur axé back office et data, pour construire et gérer les bases de données, mais aussi développeur axé animation, flash, et front office.

Et pour finir, pas de datajournalism sans travail d’éditorialisation. Par éditorialisation j’entends : problématisation, inscription dans le débat public, storytelling, hiérarchisation, définition d’un angle de traitement de l’actualité et d’un message à délivrer. Vous remarquerez que j’esquive volontairement la référence au journalisme. Je suis persuadée qu’il n’est pas besoin de se définir comme journaliste pour être capable de remplir ce rôle d’éditorialisation. Maintenant, est-ce que ce travail d’éditorialisation est du journalisme ? Je vous laisse en débattre.

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Pourquoi le journalisme de données c’est mieux que le journalisme tout court

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journal

J’ai déjà mentionné dans deux précédents posts (ici et ici) quelques avantages du journalisme de données, ou database journalism :

– Dans un contexte de défiance envers les médias traditionnels, les bases de données apportent une caution d’objectivité

– Auprès d’un grand public dont la culture mathématique reste limitée, l’infographie permet une meilleure appropriation des informations chiffrées

– Elle apporte à l’information une dimension ludique et interactive

– Elle permet aux internautes de personnaliser leur consultation de données, y compris via la géolocalisation

Mais, me répondrez-vous, si les bases de données présentent tant d’avantages, pourquoi les médias traditionnels n’en publient-ils pas plus ?

D’abord parce qu’ils n’en ont pas la place. L’espace est limité dans un journal, les TV n’ont que 24 heures de programmes par jour. Impossible dans ces conditions de donner accès sur chaque sujet à toutes les données, pour tous les échelons du territoire et sur toutes les périodes.

Sur Internet cette contrainte disparaît. Le coût de stockage des données diminue d’année en année, il sera bientôt nul, ou presque.

Autre obstacle au journalisme de données dans les médias traditionnels : leur aspect figé. Pas possible de zoomer sur un détail d’une carte ou de choisir les données à comparer entre elles dans un journal, ni de chercher les données pour ma ville via un moteur de recherche.

On comprend donc mieux pourquoi le database journalism n’a pas vraiment d’intérêt hors du Web.

D’autant plus que les bases de données en ligne présentent au moins trois autres avantages :

1/ Il s’agit d’un contenu evergreen, qui ne se périme pas. Les données et leur visualisation peuvent être réactualisées en permanence, voire même être rafraîchies en temps réel si les bases de données sont reliées à des capteurs.

2/ Le database journalism s’ajute parfaitement aux nouveaux modes de consommation de l’information en ligne. Les internautes ne reçoivent pas passivement les flux d’information comme ils lisaient le journal ou regardaient la télé, ils ont un comportement actif, commentent, complètent, créent ou diffusent ou agrègent des contenus. Les visualisations interactives de bases de données permettent justement une pratique active de l’information : il est possible de rechercher dans une base, de zoomer sur une carte, de personnaliser une infographie, de paramétrer les données à comparer, d’apporter ses propres données….

3/ Le journalisme de données permet d’atteindre le micro-local. Toutes les données hyperlocales, trop insignifiantes pour mériter un article dans la PQR, peuvent trouver leur place dans des bases de données destinées à de petites communautés. Ces dernières seront toujours intéressées par les chiffres de la délinquance dans leur quartier, les résultats scolaires des différentes écoles de la ville, ou la liste des restaurateurs qui s’approvisionnent chez les producteurs locaux.

J’espère vous avoir convaincu de l’intérêt du journalisme de données. Désormais, il ne reste plus qu’à… se mettre au travail : rassembler journalistes, statisticiens, designers et informaticiens pour  traiter, indexer et transformer des données brutes en infographies pleines de sens, pour penser leur diffusion sur Internet, pour organiser leur récupération, et les doter d’un modèle économique viable.

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Le database journalism : à la croisée des grandes tendances du Web

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statistique

Comme expliqué dans la page « A propos », mon exploration du database journalism est sensée nourrir un projet de lancement d’un site d’info basé sur du journalisme de données.

Si je voulais faire simple, je pourrais résumer mon projet à un site d’infographies. Evidemment, ça ne serait pas aussi attractif : l’idée de compiler sur des pages Web des dizaines d’infographies telles qu’on a l’habitude de les voir dans les pages de nos journaux ferait même plutôt fuir.

Un petit post s’impose donc pour convaincre d’éventuels réticents que le journalisme de données, ou database journalism, est bien au cœur des dernières tendances du Web, et qu’il résonne de promesses captivantes.

Le database journalism s’inscrit à la croisée de plusieurs grandes tendances :

1/Le Web-design et la 3D : de l’infographie en trois dimensions, animée, percutante, ça change tout ! Ca pourrait même réconcilier nos concitoyens avec les nombres (cf sur ce blog: un problème avec les nombres ?).

2/La personnalisation : la délinéarisation, la fragmentation voire l’individualisation, de la consommation d’information sont désormais caractéristiques des usages du Web. La mise à disposition de bases données via des interfaces graphiques peut justement offrir une personnalisation poussée de l’information. Une infographie interactive peut ainsi être plus ou moins largement paramétrée par l’utilisateur : choix du zoom, délimitation de la zone géographique, sélection des dimensions comparées, personnalisation des critères de visualisation… Chaque infographie devient ainsi unique, parfaitement adaptée aux besoins d’un internaute à un moment précis de son parcours de navigation.

3/La géolocalisation : la personnalisation appliquée à la situation géographique de l’internaute. Cela peut permettre, par exemple, à chaque Internaute d’entrer dans les infographies différemment selon l’endroit où il se trouve. Résultat : un impact bien plus grand des données présentées. La carte du taux de mortalité par accident de la route suscite moins la curiosité si elle est présentée à l’échelle de la France qu’à celle de son quartier.

4/La transparence des données publiques : l’administration Obama a donné une vraie impulsion en janvier dernier en ouvrant l’accès à un catalogue de données brutes de l’Etat américain, sur le site data.gov. Le gouvernement britannique s’y est mis aussi (http://innovate.direct.gov.uk/). Le  mouvement d’ouverture des bases de données est lancé, mais les données brutes restent difficilement lisibles sans médiation graphique. Il ne reste donc plus qu’à s’en saisir pour y greffer des interfaces de visualisation éditorialisées. C’est ici que le database journalism trouve sa place.

5/Le Web social et le crowdsourcing: Non seulement les internautes ont la possibilité de personnaliser les infographies, mais ils peuvent également contribuer à récolter les données. Pour analyser les 458 mille pages sur les notes de frais des députés britanniques, le Guardian a, par exemple, demandé à ses lecteurs-volontaires d’analyser chacun un petit bout du document. La participation des internautes permet à la fois de collecter des données micro-locales et de fédérer des communautés autour des bases de données.

6/L’Internet des objets et le temps réel : l’étiquetage électronique des objets, via des puces Rfid capables de transmettre ou d’enregistrer des données, ouvre la voie à de nouvelles façons de collecter l’information. Un capteur, encapsulé dans une montre ou n’importe quel objet usuel, peut, par exemple, donner des indications géo-localisées, en temps réel, sur la pollution de l’air. La transmission des données entre puces Rfid et espaces de stockages numériques peut se faire automatiquement, et être intégrée à des infographies réactualisées en permanence. (Voir l’article de Daniel Kaplan sur InternetActu.net)

J’essaierai, bien entendu, de développer toutes ces dimensions du database journalism dans mes prochains posts.

Et, promis, je vous donnerai par la suite des exemples commentés de journalisme de données.

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